Apprendre sans effort… Peut-on y croire ?

Frédéric Durieu pour THOT CURSUS

Apprendre sans même s’en apercevoir ?
Apprendre sans effort, et pourquoi pas en dormant. Nous en rêvons souvent, et d’autant plus que notre environnement nous pousse à toujours plus d’efficacité. Et les méthodes abondent.
On nous promet du ludique, du progressif ou de l’apprentissage par petites touches, sans que nous nous en rendions compte. Et pourtant… Imagine-t-on un peintre de la Renaissance appliquer ce précepte du « sans peine et sans effort » ? Imagine-t-on des musiciens monter sur scène sans avoir répété des dizaines de fois ? Et que penser d’un écrivain qui aurait acquis son style à partir d’une dizaine d’astuces ?

Et pourtant, les méthodes qui nous apprennent à dessiner à partir de formes simples nous apportent un peu de confiance en nous, elles changent notre regard, elles nous font croire qu’en étant un peu plus malin, on pourrait éviter des efforts inutiles. Et surtout, elles nous permettent des améliorations très rapides de nos résultats.

L’épouvantail de la pédagogie de l’effort
Les opposants à la pédagogie de l’effort rejettent particulièrement l’effort inutile érigé en valeur et le sentiment qu’il faut passer par une phase de déplaisir et de souffrance pour apprendre. C
ritiquer la pédagogie de l’effort, c’est critiquer une pédagogie où le jeu n’a pas sa place et où le maître est au centre, dans une logique de transmission. C’est critiquer une pédagogie où les notes et le classement sont perçus comme les seuls facteurs de motivation. C’est enfin critiquer une pédagogie qui considère l’erreur comme une faute due à un manque d’attention ou de travail.
la pédagogie de l'effort
 François Chatelain, précise la place de l’effort en pédagogie dans son article « Principes de l’éducation nouvelle ». Il oppose deux visions de l’effort.

« L’école active, affirmons-le, bannit l’effort suscité par des motifs secondaires extérieurs à l’enfant. Elle bannit surtout l’effort qui n’est suscité que par la crainte des sanctions, punitions, classements, etc. Cet effort-là, lié à la peur, elle le répudie parce qu’il lui semble à la fois inefficace pour le travail et, nous  le verrons plus loin, pour la formation morale. […]
C’est pourquoi nous faisons nôtre la pensée de M .Bloch : “L’opposition n’est pas entre pédagogie de l’intérêt et pédagogie de l’effort, mais bien entre la pédagogie de l’effort porté, soutenu et vivifié par l’intérêt et la pédagogie de l’effort à vide. »

L’effort est souvent indispensable pour apprendre !
Dans la plupart des apprentissages, qu’il s’agisse de langues ou de techniques, le sentiment d’apprendre est très fort au démarrage. Après quelques jours consacrés à l’apprentissage d’une langue, on peut se débrouiller. Plusieurs heures de cours de guitare, et on commence à produire des sons et des mélodies reconnaissables. Mais les progrès qui suivent sont bien plus difficiles, et au fur et à mesure que les compétences se consolident, le prochain pas est plus laborieux. La courbe d’apprentissage n’est pas linéaire !
Dans la formation des pilotes, les apprenants ont le sentiment de faire des progrès très importants sur les premiers temps de formation. Mais rapidement, les avancées peuvent atteindre un plateau. Il faut consacrer plus d’heures de vol pour percevoir un progrès. Le pilote peut même parfois régresser, en consolidant des apprentissages erronés. C’est le moment ou l’effort, la persévérance, l’acharnement doivent prendre la place de la stimulation liée à la première découverte.


Effort et plaisir d’apprendre ne sont pas incompatibles
Effort et plaisir se retrouvent dans le sentiment de se dépasser, dans la réalisation d’une oeuvre ou d’un projet dont on se sent fier. Le plaisir d’apprendre s’éprouve dans une tension pour mener vers la culture, éloigner de la routine et plus encore des discours publicitaires et médiatiques qui les voient comme des cibles marketing.

L’effort peut même être source de plaisir et de motivation. C’est ce que nous dit Coraline Chapatte en s’inspirant du psychologue hongrois Mihaly Csikszentmihalyi. Dans les années 90, ce dernier crée la notion de « flow ». C’est ce moment où on perd la notion du temps, on est absorbé par l’activité. Les codeurs, les adeptes de jeux vidéos connaissent ces moments où l’on est tellement absorbé par l’activité qu’on en oublie de manger et qu’on ne voit pas passer les heures. Caroline Chapatte parle d' »élixir de l’effort« . Si l’effort est souvent perçu comme élément essentiel d’une pédagogie basée sur la contrainte, il est cependant très présent dans toutes les activités d’apprentissage. Mais c’est un effort qui a du sens et qui est accepté par l’apprenant, sans qu’une autorité ne lui impose. Les sportifs, amateurs de jeux vidéos et artistes font des efforts.
Et ces efforts ne s’opposent pas à la motivation. Bien au contraire, ils participent au plaisir d’apprendre, ou d’entreprendre une activité.